Annuaire français de relations internationales 2004 Volume V (La documentation française – Bruylant)
En succédant à l’OUA, l’Union africaine se donne pour ambition de renouveler et de consolider le projet d’intégration politique et économique dont les bases avaient été jetées en 1963. A cet effet, l’Acte constitutif de la nouvelle organisation dont les contours ont été tracés dans la Déclaration de Syrte (Libye) du 9 septembre 1999, a fixé des objectifs et instauré un cadre institutionnel allant bien au delà de l’approche diplomatique finalement privilégiée par l’OUA.
C’est sous l’angle organique que les changements sont les plus notables, avec notamment une Commission appelée à relayer et à impulser la dynamique unitaire. Sous ce dernier aspect, la création du Conseil de paix et de sécurité traduit la volonté de rompre avec la fatalité des guerres et de se doter d’instruments aptes à relever les défis de la paix et à promouvoir une politique de défense commune. Mais la rupture tant annoncée avec les égarements de l’OUA se heurte une nouvelle fois aux réalités d’une Afrique toujours repliée sur le dogme de la souveraineté étatique et confrontée à des difficultés, notamment financières qui risquent de renvoyer à un avenir plus lointain le vaste chantier des politiques communes.
Le 9 juillet 2002, à Durban, en Afrique du Sud, la XXXVIIIème Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’OUA, proclame la naissance officielle de l’Union africaine. Au delà de la symbolique d’une telle décision inaugurant une période intérimaire d’un an au cours de laquelle les principaux organes de la nouvelle institution seront mis en place, les dirigeants africains prenaient définitivement acte de leur volonté d’ouvrir une nouvelle page de l’intégration de leur Continent. Pareil tournant consacrait certes plusieurs années de préparation et de négociations des textes fondateurs de l’Union africaine, mais il marquait dans le même temps le souci de clore définitivement les débats parfois controversés et toujours passionnés sur le calendrier et les modalités de passage de l’organisation de l’Unité africaine (OUA) à l’Union africaine (UA).
En effet pendant près de trois années, entre la réunion de Syrte, en Libye en septembre 1999, où était pris l’engagement solennel de créer l’Union africaine[1] et la réunion de Durban, de 2002, en passant par les Sommets de Lomé (2000)[2] et de Lusaka (2001)[3], bien des divergences avaient été surmontées sur les structures de l’Union, et en particulier sur la nature des rapports entre ses organes interétatiques classiques et la future Commission. En arrière plan de ces problèmes d’organisation et d’ordonnancement institutionnel, sans pour autant que cela affecte l’affirmation de la souveraineté des Etats membres, se profilait surtout le souci de ne pas réduire l’Union à une simple changement de dénomination de l’OUA. C’est autour de ce postulat qu’ont surgi les interrogations sur les ambitions de l’Union africaine, sur les rapports entre cette dernière et les Etats membres, sur son architecture institutionnelle, sur le calendrier de mise en place des organes prévus par l’Acte constitutif de l’Union ainsi que sur le contenu des politiques communes, notamment en matière d’intégration économique et de défense.
C’est pour prévenir les critiques éventuelles sur les fondations de la nouvelle Organisation et surtout répondre aux appréhensions de nombreux Etats sur les finalités réelles de l’Union et la préservation de leurs attributs de souveraineté, que le Secrétaire général de l’OUA, Amara Essy, désigné en juillet 2001, à Lusaka, afin d’assurer la transition vers l’Union africaine, a initié une large concertation impliquant des acteurs venus des horizons les plus divers. Jamais dans l’histoire de l’Organisation de l’Unité africaine, ce qui montre à la fois la rigueur et la prudence de la démarche, une aussi large consultation n’avait été organisée. Outre les représentants des Etats membres, à tous les niveaux, elle associa pendant des mois des membres de la société civile africaine, des experts tant nationaux qu’internationaux et bénéficia du concours des Nations unies, de l’Union européenne, voire de l’ASEAN[4].
L’originalité de cette procédure de consultation a été illustrée par l’avis que le Secrétariat de l’OUA a demandé à un « groupe consultatif d’éminentes personnalités[5] sur la transition de l’OUA à l’Union africaine (UA) ». Présidé par un ancien chef d’Etat, le général nigérian, Yakubu Gowon, cette instance avait un mandat élargi, recouvrant aussi bien les questions institutionnelles que les objectifs assignés à l’Union ou encore l’intégration de certaines initiatives dans les programmes de l’Union africaine. Ses recommandations, largement diffusées, ont été pour une bonne part, prises en compte par les représentants des Etats, s’agissant notamment des règlements intérieurs et des statuts des quatre organes clés de l’Union (Conférence générale, Conseil exécutif, Comité des représentants permanents et Commission)[6].
L’attention ainsi portée au processus de mise en place de l’Union africaine fut d’autant plus rigoureuse que l’acte constitutif n’était pas d’un grand secours en la matière. Libellé en termes très généraux, il se contente dans trente trois articles d’énumérer les objectifs de l’Union (article 3) et les principes (article 4) sur lesquels devra fonctionner l’organisation. C’est ce même type d’énoncé très bref que recouvrent les dispositions qui traitent des pouvoirs et des attributions des principaux organes de l’Union. Cette rédaction plutôt sobre reflète l’accord minimal sur lequel se sont finalement entendus les Etats membres, et qui permettait de dissiper les craintes exprimées lors de l’élaboration de l’Acte constitutif de l’Union, sur la nature de l’Union et sur son éventuel caractère supranational. Sur ce dernier point, l’Acte constitutif ne laisse planer aucun doute sur le fondement interétatique de l’Organisation : on n’y trouve nulle trace de dispositions préfigurant les Etats unis d’Afrique chers au colonel Kadhafi. Les rédacteurs de l’Acte constitutif de l’Union ont ainsi voulu tirer toutes les leçons de l’ambiguïté de certains articles de la Charte de l’OUA de 1963, source de multiples spéculations et de surenchères qui, au fil des ans, avaient entamé la crédibilité de l’institution. A l’évidence, les Etats africains ont pris le parti de laisser au temps et à la pratique le soin de déterminer voire d’étendre le champ des compétences de l’Union, et partant, de fixer au vu des résultats obtenus les différentes étapes à venir de l’intégration continentale.
Si l’Union africaine reprend à son compte les objectifs déjà assignés à l’OUA, elle s’en distingue par un champ de coopération plus vaste, incluant désormais, entre autres, les questions relatives à l’intégration économique, la démocratie, l’Etat de droit, la bonne gouvernance ou encore les droits de l’homme. Ces nouvelles compétences recouvrent pour une part les objectifs inscrits dans d’autres instruments juridiques qui subsistent malgré l’entrée en vigueur de l’Acte constitutif. Même si à terme une telle coexistence, une telle juxtaposition risque de soulever de sérieux problèmes tant sur le plan institutionnel que fonctionnel, une synergie est ainsi envisagée dans des domaines couverts jusque là par le traité d’Abuja de 1991 instituant une communauté économique africaine, par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981, ou encore par la Déclaration du Caire de 1993 sur le mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits.
A l’évidence la création de l’Union africaine[7] a été l’occasion de remettre « à plat » tout le dispositif normatif adopté au fil des ans dans le sillage de l’OUA et d’intégrer à la nouvelle organisation des structures qui s’étaient progressivement transformées en entités quasi autonomes. C’est de ce registre même s’il s’agit d’un phénomène plus récent, que relève l’évolution du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) crée en 2001. Conçu à l’origine comme un programme de l’OUA, celui-ci a dans les faits fonctionné en relation étroite et directe avec les seuls chefs d’Etat africains, en charge du dossier (sud africain, nigérian, algérien et sénégalais). Son secrétariat installé en Afrique du Sud a, dans la pratique, entretenu davantage des relations de coopération que de subordination avec le siège de l’OUA à Addis Abeba. Ce danger de démembrement auquel a été souvent exposé l’OUA est aujourd’hui réel pour l’Union africaine, comme en atteste un projet encore embryonnaire de création d’un Secrétariat intérimaire chargé des questions d’environnement qui serait basé à Dakar.
D’une manière générale, l’Union africaine, comme hier l’OUA, et à l’instar de nombreuses organisations du système des Nations unies, n’échappera pas, elle aussi, au risque des doubles emplois. D’ores et déjà, le NEPAD, tout auréolé de sa reconnaissance internationale, s’est vu doter d’attributions à peu près identiques à celles dévolues à un organe de l’Union créé à l’initiative du Nigeria, et plus particulièrement de son président Olesegun Obasanjo. Née au début des années 90, l’idée d’une Conférence sur la sécurité, la stabilité, le développement et la coopération en Afrique (CSSDCA) sera reprise à son compte par l’OUA, en juin 2000[8], sous la forme d’un organe ad hoc. Son mandat, à savoir la définition d’une nouvelle vision du développement fondé sur les réformes démocratiques et l’implication de la société civile, recoupe en grande partie celui du NEPAD.
Un tel problème, parmi beaucoup d’autres, témoigne de la complexité des questions institutionnelles entraînées par la création de l’Union africaine et met en évidence de multiples enjeux de leadership. Le processus de mise en place des organes principaux de l’Union, et notamment l’adoption de leurs règlements intérieurs et statuts a ainsi donné lieu à des prises de position qui n’ont pas toujours obéi à la logique interétatique et égalitaire inscrite dans l’Acte constitutif. En maintes occasions, les « grands pays membres » (Nigeria, Afrique du Sud, Libye ou Algérie) ont essayé de peser sur les débats, sans nécessairement y parvenir, faute d’avoir une même vision de l’organisation et les mêmes intérêts à défendre.
Si l’idée d’une organisation marquant une rupture avec l’OUA parcourt la plupart des textes régissant l’Union africaine, et le premier d’entre eux, l’Acte constitutif, la réalité des changements attendus a bien du mal à se dégager, et sur bien des points nombre de critiques entendues naguère commencent à refaire surface.
Une architecture institutionnelle rénovée.
A défaut d’avoir toujours gagné en « lisibilité », les dispositions de l’Acte constitutif laissent clairement apparaître les importants changements opérés par rapport à l’ancienne OUA. Ils transparaissent tant du point de vue des objectifs que de celui des organes en charge de les réaliser.
En dehors des grands principes largement consacrés par le droit international sur lesquels était déjà fondée l’OUA, et que l’Acte constitutif rappelle solennellement (égalité, souveraineté et interdépendance entre les Etats membres, respect des frontières au moment de l’accession à l’indépendance, interdiction de recourir à l’usage de la force, non ingérence d’un Etat membre dans les affaires intérieures d’un autre Etat….), des innovations ont été introduites. L’Union repose désormais sur un socle de valeurs que l’OUA avait certes mises en avant tout au long de la décennie 90, mais qui préfigurent néanmoins de nouvelles évolutions, tant dans le domaine politique (en particulier en matière de maintien de la paix et de la sécurité) que dans les domaines économiques et sociaux. La promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes érigée désormais au rang de principe (article 4 (L)) est en soi révélatrice de la nouvelle école de pensée dont s’inspire l’Acte constitutif. Elle permettra parmi d’autres effets, à la Commission d’inclure la question des genres dans ses attributions.
Au nombre des principes censés désormais guider l’action de l’Union figurent, entre autres, le droit de « l’Union d’intervenir dans un Etat membre sur décision de la Conférence, dans certaines circonstances graves, à savoir : les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre l’humanité » et « le droit des Etats membres de solliciter l’intervention de l’Union pour restaurer la paix et la sécurité ». Même s’il y a loin entre les proclamations de principes et la réalité, cette formulation atteste du changement de cap de l’organisation et de sa volonté de prendre en compte des préoccupations qui, jusque là, se sont toujours heurtées au sacro saint principe de souveraineté. C’est de ce même registre que procède la référence au « respect des principes démocratiques, des droits de l’homme, de l’état de droit et de la bonne gouvernance ».
Pour répondre à ces nouvelles ambitions, l’Union se voit assigner des objectifs qui vont bien au delà de ceux que l’on retrouve dans les chartes constitutives des autres organisations internationales régionales. De nouveaux domaines de compétence sont ainsi mentionnés, qui, pour certains d’entre eux, constituent une véritable révolution. Ils ne concernent plus exclusivement des domaines politiques traditionnels dont l’OUA avait déjà à connaître, comme le renforcement de la paix et de la sécurité du Continent ou encore « la défense des positions africaines communes sur les questions d’intérêt pour le Continent et ses peuples ». Ils recouvrent désormais des sujets plus sensibles, comme « l’intégration politique et socio-économique du Continent » (article 3 (c) ) ou plus concrets, parfois très proches des citoyens, telles la libre circulation des personnes, des biens, des capitaux et des services, la sécurité alimentaire, la lutte contre la pauvreté, la lutte contre les pandémies, la protection de l’environnement ou encore la gestion de la dette.
C’est sur le plan institutionnel que les changements étaient les plus attendus, et qu’ils sont effectivement les plus palpables, aussi bien à travers le nombre élevé d’organes prévus par l’Acte constitutif que par la diversité et l’étendue des prérogatives d’instances annonciatrices des futurs chantiers de l’Union. Dans ce registre, la Commission fait figure de symbole, à la fois des nouvelles orientations de l’Union et de la volonté de rompre avec les modes d’organisation et de fonctionnement du Secrétariat général de l’OUA. Cette préoccupation était d’autant plus fondée que les critiques les plus sévères qu’ a eu à endosser l’OUA au cours de ses quatre décennies d’existence s’étaient principalement focalisées sur l’administration et le personnel en général, jugés un peu hâtivement responsables de tous les travers de l’institution.
Aux termes de l’article 5 de l’Acte constitutif, les organes de l’Union sont les suivants : la Conférence de l ‘Union, le Conseil exécutif, le Parlement africain, la Cour de justice, la Commission, le Comité des représentants permanents, les Comités techniques spécialisés, le Conseil économique, social et culturel, les institutions financières. D’autres organes peuvent être crées à l’initiative de la Conférence de l’Union, comme elle le fit pour le Conseil de paix et de sécurité dès l’entrée en vigueur de l’Acte constitutif. Près de deux ans après l’entrée en fonction de l’Union africaine, seuls les organes clés, considérés d’ailleurs comme prioritaires par les Sommet de Lusaka de juillet 2001 (la Conférence de l’Union, le Conseil exécutif, le Comité des représentants permanents et la Commission) ont été définitivement mis en place après l’adoption lors de la Conférence de Durban en juillet 2002, des règlements intérieurs des trois premiers, et des statuts de la Commission.
Quant aux autres institutions, leur mise en place demeure subordonnée soit à la ratification des Protocoles ad hoc, actuellement en cours (Parlement panafricain, Cour de justice, Conseil économique, social et culturel, Conseil de paix et de sécurité[9]), soit à un accord encore lointain sur les conditions minimales requises pour leur création. Il va sans dire que le processus institutionnel est appelé à s’étaler dans le temps, voire à demeurer inachevé tant que certaines étapes de l’intégration politique, économique et financière n’auront pas été franchies. Ainsi la création des institutions financières (Banque centrale africaine, Fonds monétaire africain et Banque d’investissements) semble relever d’un projet à long terme, comme l’ont indiqué d’ores et déjà les gouverneurs des Banques centrales africaines réunis en 2002 à l’initiative du Président intérimaire de la Commission de l’Union africaine.
D’une manière générale, la Conférence de l’Union et le Conseil exécutif s’inscrivent dans la continuité de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement, et du Conseil des ministres de l’OUA. Qualifiée d’organe suprême (article 6-2), la Conférence de l’Union est composée des chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres (ou de « leurs représentants dûment accrédités »). Elle se réunit, comme son homologue de l’OUA en session ordinaire une fois par an, et à la demande d’un Etat membre et sur approbation des deux tiers des Etats membres, en session extraordinaire. L’énumération de ses pouvoirs et de ses attributions en font la pièce maîtresse de l’Union. C’est à elle que revient la charge de tout le volet politique de l’Union, qu’il s’agisse du contrôle du fonctionnement de la Commission ou de la nomination de ses principaux dirigeants que dans la définition des politiques. L’Acte constitutif fait une mention spéciale (article 9 (g))de la « gestion des conflits, des situations de guerre ainsi que de la restauration de la paix. »
En fin de compte, et de par son caractère éminemment politique, la Conférence de l’Union a vocation à connaître de toues les questions, ce qu’elle ne manque jamais de faire lorsqu’elle est saisie à cet effet. Réunie en session extraordinaire, en février 2003, pour débattre d’amendements à l’Acte constitutif proposés par la Libye, la Conférence n’a pas hésité à siéger en tant qu’organe central (au titre du Mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits) pour connaître de la crise ivoirienne.
La Conférence prend ses décisions par consensus, ou à défaut, à la majorité des deux tiers des Etats membres, à l’exception des questions de procédure soumisses à la majorité simple. Mais dans les faits, les décisions sont toutes adoptées sans vote, dès lors qu’elles ont été, au préalable, retenues par le Conseil exécutif et soumises formellement à l’approbation de la Conférence. Il arrive néanmoins que faute d’un accord au Conseil exécutif, la Conférence soit amenée à trancher directement.
A l’image du Conseil des ministres de l’OUA auquel il a succédé, le Conseil exécutif est l’organe central de l’Union. Par la fréquence de ses réunions, aussi bien en session ordinaire (deux par an) qu’extraordinaire (sur la demande d’un Etat appuyée par les deux tiers des Etats membres), l’étendue de ses attributions, dont certaines lui sont propres (article 13), par sa composition variée (article 10 §1), il incarne le mieux la dimension politique de l’Union. Dans une position charnière entre la Conférence et la Commission, le Conseil exécutif donne le ton des avancées sur la voie de l’intégration.
Paradoxalement, son emprise, y compris sur la Commission, est renforcée par la création du Comité des représentants permanents, siégeant à Addis Abeba. Ce dernier organe assure au quotidien le lien entre le Conseil exécutif dont il est en quelque sorte le mandataire et la Commission dont il est tenté presque inévitablement de contrôler les activités.
La Commission
Bien qu’elle soit prise en tenailles par les organes interétatiques, la Commission, nouvellement créée, est la grande innovation de l’architecture institutionnelle de l’Union. C’est essentiellement sur elle, ou plutôt sur son dynamisme que repose la mise en œuvre du projet d’intégration inscrit dans l’Acte constitutif. Si ce dernier est laconique sur les attributions de la Commission (« déterminées par la Conférence, article 20 §3), sa configuration organique, la spécialisation de ses membres, ses méthodes de travail plus collégiales, ses fonctions telles qu’elles ressortent de ses statuts et de son règlement intérieur, marquent une rupture avec l’ancien Secrétariat général de l’OUA. Fortement inspirée du modèle de la Commission de l’Union européenne, elle est appelée à fonctionner comme un organe collectif, chaque commissaire ayant son « portefeuille » à la façon d’un ministre, mais toutes les questions étant débattues collégialement, sous l’autorité d’un président.
Incarnant la continuité de l’Union, et en relation constante avec le Comité des représentants permanents, la Commission est en charge de préparer et de mettre en œuvre les décisions de la Conférence et du Conseil de l’Union. Tout en assurant le secrétariat de l’Union, avec tout ce que cela comporte comme tâches strictement administratives, elle assume une fonction de représentation de l’Union sur le plan international. C’est par elle, entre autres, et les négociations qu’elle aura à mener avec les partenaires extérieurs à l’Afrique, que devra passer l’indispensable accroissement des ressources financières de l’Union. Longuement débattues, sa composition définitive (un président, un vice président et huit commissaires), et la répartition des attributions entre ses différents membres, obéissent à une double préoccupation d’efficacité et de spécialisation des tâches. La présélection très rigoureuse des candidatures aux fonctions de commissaires, sous la forme d’un classement établi à partir des seuls critères de compétences, a permis d’éviter le piège de la politisation dans lequel s’est trop longtemps enfermé l’OUA, dans le choix des secrétaires généraux adjoints. Du reste l’élection des dix membres de la Commission par la Conférence de l’Union à Maputo, en juillet 2003, n’a pas fait nécessairement la part belle aux candidats des « grands pays ». C’est ainsi que le candidat nigérian au poste de commissaire aux affaires politiques a été écarté au profit de celui présenté par la Gambie.
D’une manière générale, le vote pour l’élection des huit commissaires, pour un mandat de quatre ans, a fait ressortir le double souci de respecter de manière très stricte la parité hommes femmes dans la composition de la Commission (cinq femmes en font désormais partie à des postes très sensibles), et d’écarter les commissaires intérimaires sortants, candidats à leur succession. Un seul d’entre eux, l’Algérien Saïd Djinnit (en charge de la paix et de la sécurité) a échappé au couperet.
Quant à l’élection du président de la Commission, Alpha Oumar Konaré, elle fut acquise sans difficulté et sans adversaire, après le retrait, au dernier moment de la candidature du président intérimaire de la Commission, Amara Essy. C’est un Rwandais qui a été élu au poste de vice président. L’installation officielle, le 16 septembre 2003, à Addis Abeba, de la nouvelle Commission a, dans les faits, inauguré l’entrée en fonction de l’Union africaine.
Les autres organes statutaires
S’il est loin d’être achevé, et demeure toujours confronté aux aléas des fragiles équilibres politiques et diplomatiques au sein de l’Union, le processus de mise en place des autres organes statutaires est désormais bien avancé. Il l’est surtout pour le Parlement panafricain, la Cour de justice, le Conseil économique, social et culturel et le Conseil de paix et de sécurité, dont les Protocoles sont actuellement soumis à la procédure de ratification. Parallèlement, la Commission de l’Union africaine est en passe d’élaborer définitivement les règlements intérieurs des autres organes, et en particulier de s’accorder avec le Comité des représentants permanents sur les questions concernant la composition et les pouvoirs de ces organes.
Dans le cas du Parlement interafricain, il s’agit, dans un premier temps, de reprendre l’embryon d’assemblée créé dans le cadre du Traité d’Abuja, en mars 2001 à Syrte (Libye), et composée de représentants désignés par les parlements nationaux. A plus long terme, (fixé à cinq ans), le nouvel organe devrait s’inspirer du modèle du Parlement européen, et comprendre des « députés africains » (deux par pays membres) élus au suffrage universel direct, dans chaque Etat membre. Cette ambition dont la réalisation paraît être encore lointaine répond à la volonté des fondateurs de l’Union africaine d’impliquer plus directement les opinions publiques nationales dans le chantier de l’intégration politique et économique.
C’est dans ce même esprit que devrait fonctionner le Conseil économique, social et culturel. Il est appelé lui aussi à être un relais de la société civile africaine, déjà associée à travers de nombreux forums organisés en 2002 et 2003 par la Commission intérimaire de l’Union africaine, à l’action de « popularisation » de la nouvelle organisation.
Si le principe de la création de la Cour de justice n’a jamais fait problème, et si la décision dans ce cas a été arrêtée lors d’une réunion des ministres de la justice tenue à l’Ile Maurice, en décembre 2002, les contours et le champ de compétences de cette juridiction ne sont pas encore connus. Parmi les problèmes non encore résolus, il y a, entre autres, celui de la cohabitation avec la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, dont l’entrée en fonction est toujours subordonnée à la ratification du Protocole adopté en juin 1998 à Ouagadougou. A ce jour, le débat n’a pas été tranché entre les partisans d’une coexistence des deux juridictions censées intervenir dans des domaines bien distincts, et ceux qui prônent l’intégration de la Cour des droits de l’homme au sein de la Cour de justice, sous la forme d’une chambre spécialisée.
Le Conseil de paix et de sécurité
Mais de toute évidence, le Conseil de paix et de sécurité est l’organe le plus attendu, celui dont chacun espère qu’il fera oublier les insuffisances, sinon l’incurie de l’OUA, en matière de règlement des conflits. Mais paradoxalement, l’Acte constitutif n’avait pas prévu originellement la création du Conseil de paix et de sécurité. C’est seulement lors du lancement officiel de l’Union en 2002 que les chefs d’Etat et de gouvernement de l’OUA ont donné corps à une institution dont les premiers traits avaient été esquissés, un an auparavant au Sommet de Lusaka, sous la forme d’un Conseil de médiation et de sécurité.
Les fonctions (article 6 du Protocole) du Conseil de paix et de sécurité recouvrent des domaines très étendus qui vont de la prévention des conflits, avec l’instauration d’un système d’alerte, à la mise en œuvre d’opérations militaires dans les cas prévus par l’Acte constitutif, en passant par la promotion d’une politique de défense commune. Il doit devenir, après la ratification du Protocole relatif à sa création, « l’organe de décision permanent pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits ». Il constitue, toujours selon le Protocole (article 2 §1) « un système de sécurité collective et d’alerte visant à permettre une réaction rapide et efficace aux situations de conflit en Afrique ».
Par ses objectifs et les principes qui le guident, en tous points identiques à ceux qui figurent dans l’Acte constitutif de l’Union, comme par ses modalités de saisine et d’intervention, ou encore les instruments sur lesquels il s’appuie, le Conseil de paix et de sécurité marqué une franche rupture avec l’organe central de l’ancien Mécanisme auquel il se substitue. Du reste, le Protocole relatif à sa création tient lieu et place de la Déclaration du Caire de 1993, et ses dispositions remplacent « les résolutions et décisions de l’OUA relatives au Mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits qui sont contraires au présent Protocole ».
Le Conseil de paix et de sécurité se distingue de l’ancien organe central par sa composition et les modalités de désignation de ses membres. Il comprend quinze membres, dont dix ayant un mandat de deux ans et cinq un mandat de trois ans. L’élection des membres du Conseil tient compte du principe de la représentation géographique équitable et de la rotation avec néanmoins la possibilité pour un membre sortant d’être immédiatement rééligible. En revanche comme pour l’organe central, le nouveau Conseil peut se réunir aussi bien au niveau des représentants permanents (au moins deux fois par mois), que des ministres ou des chefs d’Etat et de gouvernement (au moins une fois par an).
A s’en tenir au texte du Protocole, l’Union africaine dispose donc d’un dispositif de sécurité qui s’impose aux mécanisme régionaux, et s’intègre dans la mission de maintien de la paix des Nations unies, en vertu du chapitre VIII de la Charte. Sur la suprématie des Nations Unies en la matière, le Protocole souligne sans ambiguïté que le Conseil de paix et de sécurité « coopère et travaille en étroite collaboration avec le Conseil de sécurité des Nations unies, qui assume la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité ».
L’originalité de ce nouveau dispositif de l’Union africaine concerne deux aspects de la collaboration désormais institutionnalisée du Président de la Commission, d’un Groupe de sages composé de cinq personnalités africaines désignées par le Président de la Commission après consultation des Etats,d’une part, et le Conseil de paix et de sécurité d’autre part. Le second aspect de l’innovation réside dans la création de nouveaux instruments permettant au Conseil d’assumer pleinement ses responsabilités en matière de prévision et de prévention des conflits, (système continental d’alerte rapide), d’intervention (force africaine pré positionnée) et de commandement des opérations (Comité d’Etat major).
L’ambition de l’Afrique est de trouver des solutions à des conflits dévastateurs dont, peu ou prou, se désintéresse « la communauté internationale », et de mieux cerner les maux qui en sont générateurs. C’est dans cet ordre d’idées que la notion de consolidation de la paix est introduite dans le Protocole relatif au Conseil de paix et de sécurité, impliquant, entre autres, des actions visant à promouvoir des réformes institutionnelles et économiques ainsi que des actions humanitaires.
Véritable pendant de sa mission de maintien de la paix, l’Union africaine fait désormais du développement économique l’une de ses priorités. Tout en réduisant les échéances lointaines prévues à l’origine par le Traité d’Abuja de 1991 instituant une communauté économique africaine, elle s’est efforcée de se donner les moyens d’accélérer le processus d’intégration, et de se doter de mécanismes pour y parvenir. Parmi eux figure, comme nous l’avons dit, le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD). Il s’agit là d’un instrument emblématique de la nouvelle vision du développement que l’Afrique veut promouvoir et défendre dans les grandes enceintes internationales. Le NEPAD se veut l’alternative du système « d’assistanat » en cours depuis plus de cinq décennies dans les rapports entre le Nord et le Sud et dont les échecs ne sont plus à démontrer. En inscrivant les investissements extérieurs dans une sorte de contrat global et multilatéral, le Continent tente ainsi de reprendre en main les clés de son Economie, tout en inscrivant ce mouvement d’engagements réciproques dans un effort sans précédent visant à la bonne gouvernance, l’instauration de l’Etat de droit, et plus généralement la sécurité juridique, l’une des clefs du développement.
Les difficultés à venir
Le déroulement des travaux du premier Sommet ordinaire de l’Union africaine à Maputo, en juillet 2003, a donné un avant goût des difficultés auxquelles la nouvelle organisation allait se heurter pour réaliser les objectifs inscrits dans l’Acte constitutif. Au fil des séances plutôt ennuyeuses de cette Conférence de l’Union, rythmées par des comportements dilatoires de certains délégués, les arguties de procédure, le renvoi systématique des questions « sensibles » à un examen « plus approfondi par le Conseil exécutif », les discours purement rhétoriques, on mesure combien est difficile le passage d’une OUA moulée dans le respect de la sacro-sainte souveraineté étatique à une Union africaine vouée, quant à elle, à promouvoir une véritable intégration du Continent.
A Maputo, comme lors de la première session extraordinaire de la Conférence de l’Union, tenue à Tripoli, en février 2003, et appelée à se prononcer sur des amendements à l’Acte constitutif proposés par le pays hôte, les débats ont clairement fait ressortir les réticences des Etats membres, petits comme grands, à renforcer l’Union et singulièrement le statut de son président ou encore à asseoir les prérogatives du président de la Commission. En refusant d’accéder à la demande du colonel Kaddafi d’allonger le mandat du président de l’Union, à quatre ans, et s’en tenant à une formule de compromis prévoyant que l’élection pour un an était susceptible d’être reconduite, les chefs d’Etat et de gouvernement ont une nouvelle fois exprimé le souci de cantonner la fonction à une mission de représentation. A leurs yeux, le Président de l’Union, à l’image de l’ancien président en exercice de l’OUA, est au mieux leur porte parole entre deux sessions ordinaires, et il est tout au plus habilité à soumettre à ses pairs des propositions à l’occasion d’un Sommet extraordinaire.
L’expérience de la présidence assumée par le chef de l’Etat sud africain, Thabo M’Beki, entre 2002 et 2003, n’incite pas à parier sur une affirmation plus forte de l’identité politique de l’Union africaine. Bien qu’il ait été actif sur le front des différentes crises survenues pendant son mandat, en particulier à Madagascar, et qu’il ait encouragé les réactions des organisations sous régionales face aux conflits en cours (Liberia, Sierra Leone, Côte d’Ivoire, Congo, Burundi), la portée de ses interventions tenait davantage à sa position de chef de l’Etat d’un des pays les plus en vue sur la scène internationale qu’à celle de président de l’Union. Ce constat est conforté par la discrétion dont fait preuve son successeur à la tête de l’Union, le président mozambicain, Joaquim Chissano.
Même s’il est prématuré de se prononcer sur le rôle exact de la Commission de l’Union africaine, et sur la place qu’occupe son président au sein du nouveau dispositif décisionnel, les premiers pas du président intérimaire entre juillet 2002 et juillet 2003, et ceux de la Commission officiellement installée le 16 septembre 2003, renvoient inexorablement à la posture de l’ancien secrétariat général de l’OUA. Aujourd’hui, comme hier, l’Exécutif de l’organisation a bien du mal à s’affranchir de la tutelle des Etats membres. L’extension de ses attributions, et le rôle d’impulsion qui lui est reconnu, y compris dans les domaines relevant de la compétence de la Conférence de l’Union, du Conseil exécutif ou du Conseil de paix et de sécurité, ne le mettent pas à l’abri des pressions exercées par les Etats membres, notamment à travers le Comité des représentants permanents. Cette dernière instance semble de plus en plus faire office à la fois de garde fou contre tout débordement « supranational » de la Commission, et d’autorité de tutelle sur tous les organes autres qu’interétatiques. « L’activisme » du Comité des représentants permanents n’a d’ailleurs pas échappé à la Libye qui y a vu un obstacle à ses ambitions hégémoniques, et a, de ce fait, tenté, sans y parvenir, d’obtenir sa suppression, ou à tout le moins d’abroger son statut d’organe statutaire, lors du Sommet extraordinaire réuni en février 2003, pour discuter de propositions portant amendement de l’Acte constitutif.
A l’évidence les difficultés de cohabitation de naguère entre le président en exercice et le Secrétaire général de l’OUA, paraissent être vouées à se perpétuer. En portant leur choix sur un de leurs anciens pairs, pour assurer les importantes responsabilités de président de la Commission, les chefs d’Etat et de gouvernement, du moins ceux des « grands pays membres », ont marqué leur préférence pour une politisation de la fonction, inévitablement synonyme d’une autonomie d’action plus limitée. Indépendamment de son aptitude, non contestée d’ailleurs, à diriger la Commission, c’est-à-dire en principe l’institution phare de l’Union africaine, Alpha Oumar Konaré est confronté, comme son prédécesseur, à une double difficulté : affirmer l’autorité de l’institution qu’il dirige, tout en ne perdant pas de vue la vision qu’en ont les chefs d’Etat des pays membres. Malgré les objectifs ambitieux assignés à l’Union, ces derniers n’entendent guère, ou du moins rechignent encore à s’engager sur la voie des transferts de souveraineté qu’incarnerait une Commission dotée d’attributions propres et détentrice d’un pouvoir de décision.
C’est de ce registre de la méfiance des Etats membres à l’égard de toute évolution « supranationale » de l’organisation que relève le rejet des principales propositions d’amendement proposées par le colonel Kadhafi lors des réunions du Conseil exécutif et de la Conférence de l’Union tenues à Tripoli (Libye) en décembre 2002 et février 2003. Celles-ci concernaient le renforcement du statut et des pouvoirs du président de l’Union, auquel il aurait été, entre autres, reconnu le pouvoir de convoquer les sessions extraordinaires de la Conférence sans l’approbation de la majorité des deux tiers, ainsi que l’exercice à plein temps de la fonction à partir d’un des sièges de l’Union. Le même sort a été réservé aux propositions visant à remplacer « Conseil exécutif » par « Gouvernement », ou à mettre en place des Bureaux en charge d’assister les présidents de la Conférence de l’Union et du Conseil exécutif. Dans un souci de compromis, c’est la formule classique d’un Bureau choisi sur la base « du principe de rotation et de répartition géographique » qui a été finalement retenu.
Une hypothétique politique de défense commune
Le peu d’empressement des Nations Unies à assumer toutes leurs responsabilités face à des conflits de plus en plus complexes et dévastateurs, conjugué à l’incapacité fonctionnelle de l’OUA de suppléer à cette carence, souligne le caractère d’urgence que revêtent les objectifs de paix assignés à l’Union africaine. A s’en tenir aux nombreux testes adoptés en la matière ainsi qu’aux multiples organes affectés à cette mission largement évoquée dans l’Acte constitutif, l’Union africaine semble avoir pris la mesure de défi. A maintes reprises déjà, notamment lors du 1er Sommet ordinaire de Maputo, en juillet 2003, les questions de paix et de sécurité ont été en filigrane de tous les débats. Comme pour exorciser les échecs antérieurs, les chefs d’Etat et de gouvernement africains ont fait le choix d’une audacieuse politique de défense commune dont la mise en œuvre, pour salutaire qu’elle serait pour l’ensemble du Continent, demeure pour l’heure hypothétique.
En attendant l’entrée en fonction du Conseil de paix et de sécurité[10], l’organe central, et avec lui, le Mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits de 1993, tiennent lieu de cadre organique. C’est sous leur égide qu’une force interafricaine de plus de 2 000 hommes (composée de contingents sud-africain, éthiopien et mozambicain) a été déployée en 2003, au Burundi, pour s’interposer entre les belligérants et garantir ainsi l’application de l’accord de paix arraché par la médiation sud-africaine. Mais cette amorce de réactivation des activités de maintien de la paix doit être davantage rapportée à la volonté du président sud-africain, alors président de la Conférence de l’Union, de mener à terme une médiation initiée par Nelson Mandela, qu’à un regain de vitalité de l’Union africaine. En l’espèce, cette dernière a surtout servi d’instrument de légitimation d’une intervention dont les modalités et le calendrier ont été décidés par le chef de l’Etat sud-africain, en accord avec ses homologues éthiopien et mozambicain.
Même si l’adoption par la troisième réunion des chefs d’Etat-major d’Afrique , tenue à Addis Abéba, les 15-16 mai 2003, d’un Document cadre sur la force africaine en attente et le Comité d’Etat-major militaire est de bon augure pour la réalisation des objectifs de l’Union, rien de définitif ne s’est encore dégagé des travaux des organes de décision. L’examen par le Conseil exécutif du « projet cadre de politique commune de défense et de sécurité », lors de sa troisième session extraordinaire (21-25 mai 2003 à Sun City, Afrique du Sud)[11], et les discussions plutôt passionnées sur la question au Sommet de Maputo, ont clairement fait ressortir les divergences entre les pays membres. Celles-ci se cristallisent aussi bien sur le principe même de la constitution d’une force permanente, que sur les cas où son intervention pourrait être décidée, ou encore sur les moyens de financer de telles opérations.
Si une réunion des ministres de la défense, prochainement programmée, devrait apporter des éléments de réponse à propos du statut et des modes d’intervention de la force africaine, en revanche le problème reste entier en ce qui concerne le budget des opérations de paix. Or, c’est en grande partie, faute de moyens que l’OUA s’était contentée d’intervenir « a minima » sous la forme de missions d’observations temporaires (composées de quelques dizaines de civils et de militaires) financées presque exclusivement par l’aide extérieure.
Ces handicaps renvoient inexorablement aux difficultés financières structurelles de l’Union. Celle-ci est toujours confrontée aux importants arriérés de contributions et aux réticences des partenaires extérieurs à soutenir certaines initiatives de paix. A la date de juillet 2003, le montant des arriérés de contributions s’élevait à plus de 39 millions de dollars[12], soit l’équivalent du budget annuel de l’Organisation. Dans le même temps, huit pays étaient sous sanctions, ce qui ne leur a pas permis de participer, lors du Sommet de Maputo, à l’élection du Président de la Commission. Quant aux ressources extrabudgétaires, si elles sont en augmentation (près de 6 millions de dollars ont été reçus entre janvier et août 2003), elles sont surtout affectées à la mise en place des institutions, et au financement de certaines activités en liaison avec le maintien de la paix.
L’engagement de l’Union européenne à prélever sur l’enveloppe financière prévue par la Convention de Cotonou régissant les relations avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, quelque 250 millions d’euros en faveur des opérations de paix sur le Continent ne vaut pas exclusivement pour l’Union africaine. Il concerne même, en priorité, les organisations sous-régionales, qui, à l’image de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), sont de plus en plus impliquées dans le règlement des conflits. On touche là d’ailleurs aux difficiles relations entre l’Union africaine et les Communautés économiques régionales (CER) qui, au fil des ans, ont investi le champ politique et se sont appropriées la responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité dans leur espace territorial[13].
Face aux nombreuses crises qui ont secoué certaines régions d’Afrique, en 2002 et 2003, l’Union africaine s’est souvent cantonnée dans le registre des protestations ou des condamnations formelles. Malgré le volontarisme du Président intérimaire de la Commission, Amara Essy, et les médiations entre les principaux protagonistes de la crise malgache entreprises par l’Organe central, l’Union africaine a dû se contenter de prendre acte des initiatives prises unilatéralement par le Président sud africain, alors Président de l’Union, qui ont abouti à la réintégration de Madagascar au sein de l’Organisation à Maputo, en juillet 2003. Dans la crise ivoirienne, c’est ce même « suivisme » qui a prévalu. Après les condamnations d’usage du coup d’Etat du 19 septembre 2002, l’Union africaine s’en est tenue, faute de pouvoir agir autrement, à la saisine de l’organe central sur la question, et de la nomination d’un envoyé spécial du Président de la Commission, l’ancien chef d’Etat saotomien, Miguel Trovoada, chargé de suivre les travaux de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (notamment à Accra, au Ghana, le 29 septembre 2002). Si, dans le principe, sa suprématie sur les organisations internationales régionales est constamment réaffirmée, l’Union africaine a pris le parti de s’en remettre à ces dernières, pour ce qui concerne les règlements des conflits. Ce qui est vrai de la CEDEAO, l’est également pour la SADC, en Afrique Australe ou de la CEMAC en Afrique Centrale. Le rôle de l’Union africaine se limite à légitimer les interventions décidées par ces institutions régionales et à participer aux travaux des organes mis en place pour veiller à l’application des éventuels accords de paix.
Enfin entre la vaste ambition du NEPAD et l’accueil favorable réservé par les pays industrialisés à une initiative jugée novatrice, les investissements se font toujours attendre. En juin 2003, à Evian, en France, le G 8 a une nouvelle fois renouvelé son intention de soutenir son Plan d’action et les différents programmes d’investissements sur le Continent. Ici et là, des aides directes au Secrétariat du NEPAD ont été allouées par les bailleurs de fonds multilatéraux et bilatéraux (l’Irlande a ainsi annoncé, en novembre 2003, l’octroi d’une enveloppe financière de 300 000 euros), mais à ce jour, il n’y a encore rien eu qui puisse correspondre au projet de développement global dont le nouveau partenariat est porteur. A l’attentisme des investisseurs s’ajoutent la difficile intégration ou réintégration du secrétariat du NEPAD au sein de l’Union africaine, ainsi que son articulation éventuelle avec la Commission, et des institutions, comme la Banque centrale, la Banque d’investissements ou encore le Fonds monétaire africain, dont la mise en place n’est certainement pas pour demain… C’est dire que les perspectives qui se dessinent risquent fort de contrarier les espoirs fondés sur le NEPAD.
Les incertitudes d’ordre institutionnel et économique valent également pour les différents comités techniques mentionnés dans l’Acte constitutif. Là aussi, l’Union africaine devra également faire avec les contraintes budgétaires qui pèsent sur elle et les difficultés d’organiser une coordination, a fortiori, une synergie entre des organes différents les uns des autres.
Les doutes que l’on peut raisonnablement émettre sur la capacité de l’Union africaine de réaliser, dans un délai assez court, l’ambitieux projet d’intégration politique et économique au niveau continental, ne peuvent néanmoins faire l’économie d’un double constat, déjà valable pour l’OUA[14]. Il est tout d’abord indéniable que l’opinion africaine hier, comme aujourd’hui, reste très sensible au discours panafricaniste. Pour peu qu’elle soit davantage associée à la construction du nouvel espace unitaire (ne fut-ce qu’à travers un Parlement panafricain réellement représentatif et doté de pouvoir de contrôle sur l’Exécutif de l’Union) et elle serait certainement en mesure d’infléchir le carcan « politicien » et « souverainiste » qui caractérise les structures de l’Union.
Par ailleurs, à défaut de promouvoir à brève échéance des politiques communes, notamment en matière de défense, l’Union peut toutefois se prévaloir d’une diplomatie très active faite de rencontres de plus en plus fréquentes, permettant entre autres, de transcender les clivages géoculturels, et d’afficher une certaine cohésion dans les grandes enceintes internationales. C’est dans cette direction que s’inscrit l’ouverture des représentations de l’Union africaine, à New York, Genève et Bruxelles. Si elle n’est pas directement impliquée dans le règlement des conflits qui est surtout l’apanage de l’ONU et des organisations régionales, l’Union est de plus en plus présente sur les théâtres de ces conflits, par le biais de Bureaux de liaison associés étroitement aux négociations, à la signature et au suivi des éventuels accords de paix. A la fin de 2003, il y avait pas moins de onze envoyés ou représentants spéciaux du Président de la Commission dépêchés respectivement au Sahara Occidental, au Burundi, aux Comores, en République Centrafricaine, en Côte d’Ivoire, en République démocratique du Congo, dans la Région des Grands Lacs, au Liberia, en Erythrée, au Soudan et en Somalie.
Il y a là bel et bien le signe d’une dynamique qui peut à terme raffermir la trame de missions confiées au Conseil de paix et de sécurité de l’Union.
[1] Cf la Déclaration de Syrte du 9 septembre 1999.
[2] A cette occasion avait été annoncée l’entrée en vigueur, après sa ratification par la quasi totalité des Etats, de l’Acte constitutif de l’Union africaine.
[3] La Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’OUA y avait élu pour un an un Secrétaire général officiellement chargé de gérer la période transitoire menant à la création de l’Union.
[4] Cf Note introductive au rapport du Secrétaire général de l’OUA. Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement (XXXIIIème session ordinaire. Durban 2002.
[5] Composé d’hommes et de femmes venus d’horizons divers (politique, financier, culturel, universitaire), le groupe a tenu toute une série de réunions à Addis Abeba, entre le début du moi de mai et la fin juin 2002.
[6] Rapport du Groupe consultatif d’éminentes personnalités sur la transition de l’OUA à l’Union africaine (UA). Addis Abeba 20 juin 2002. Docuement : EPAP/RPT
[7] Note introductive du Président intérimaire de la Commission de l’Union africaine. Conférence de l’Union africaine. Deuxième session ordinaire. Maputo. Juillet 2003.
[8] Elle fut lancée en 1990 lors d’une réunion d’experts à Paris, organisée par une ONG présidée alors par Olesegun Obasanjo (Africa leadership forum), et l’OCDE. Après avoir été discutée aux Sommets de l’OUA d’Abuja (1991), de Dakar (1992) et du Caire (1993), elle a été officiellement adoptée à Lomé en juin 2000. La Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement décida alors de l’intégrer dans les activités de l’OUA, et plus tard de l’Union africaine.
[9] Les règlements intérieurs de ces organes sont encore à l’état de projet et devraient être discutés avant la fin de l’année 2003. En tout état de cause leur finalisation, sans cesse retardée par la Commission, n’est pas étrangère au retard pris dans la mise en place des institutions concernées.
[10] A la date du 16 septembre 2003, seuls seize pays membres parmi les cinquante trois que compte l’Union africaine avaient ratifié le protocole relatif à la création de cet organe. (Source : Union africaine. Doc. CAB/CEG/23.22
[11] Cf Document Union africaine. EXT/EX/CL/2(III). Travaux du Conseil exécutif.
[12] Rapport du sous-comité des contributions, présenté devant le Conseil exécutif, à sa troisième session ordinaire, en juillet 2003, à Maputo (Mozambique). EX.CL/27 (III).
[13] Cf. GUEUYOU (M). “Articulation normative des systèmes africains de maintien de la paix et de la sécurité”. Communication présentée lors d’un Atelier conjoint de l’Observatoire politique et stratégique pour l’Afrique (OPSA) et du Groupe de réflexion sur la paix et la sécurité internationales, tenu à Paris le 13 novembre 2002.
[14] Cf BOURGI (A). “Voyage à l’intérieur de l’OUA”.Politique étrangère. 4/98. Hiver 1998/1999. pp. 779-794
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